Le théâtre est dans la ville et la ville est dans le monde et les murs sont faits de peau
Guy Cassiers, allocution de présentation de la saison 2019-2020
C’est avec cette belle image que la dramaturge Marianne van Kerkhoven a décrit, il y a presque vingt-cinq ans, la relation entre le théâtre et le monde extérieur. Depuis, la pression de l’extérieur sur ces murs n’a fait que s’accroître et devenir plus intense. Le monde change vite et de manière radicale. De nouvelles questions impératives s’imposent : le climat, la migration, la superdiversité urbaine, le mouvement #metoo, l’agitation sociale et politique en Europe… Les arts aussi portent un regard critique sur tout ce qui est grande institution, blanc, hétéro et mâle. Ce sont les quatre catégories considérées comme les responsables historiques d’exclusion et de discrimination. Non pas sans raison. Il ne s’agit pas de petits défis !
Tous ces thèmes sont directement ou indirectement présents dans nos spectacles, si différents soient-ils les uns des autres. Précisément parce qu’ils sont si différents. Le cinéaste allemand Wim Wenders a un jour dit : « La plus importante décision politique est l’orientation vers laquelle on dirige le regard des gens. En d’autres mots, ce qu’on leur montre, jour après jour, est politique. » Les choix artistiques personnels des différents créateurs permettent d’étendre le regard de la Toneelhuis sur les discussions actuelles. La différence entre les créateurs de la Toneelhuis a toujours été grande et il s’agit d’un choix délibéré. On ne peut depuis longtemps plus comprendre le monde à partir d’un seul point de vue.
Pour moi, le théâtre s’est toujours inscrit sous le signe de la compréhension du présent à travers le prisme du passé pour ainsi créer un avenir possible. Le passé doit, à son tour, être sans cesse réévalué de façon critique à partir de conceptions du présent. Quelles voix n’ont pas été entendues ? Quels récits ont été tus ? Mais aussi : qu’est-ce qui est précieux à emporter vers le futur ? Qui ne connaît pas son histoire parcourt le monde en sourd et en aveugle. La prochaine saison, les tragédies de Sophocle et la poésie slam de Kate Tempest se tendent la main.
Le théâtre est le lieu du dialogue par excellence : non seulement le dialogue entre passé, présent et futur, mais aussi un dialogue très concret entre différents artistes, entre différentes disciplines, entre corps et technologie, entre mot et image, texte et musique, espace et objet… Des dialogues dont la nécessité se situe dans l’échange avec vous, le public.
Il ne vous aura pas échappé que j’ai décidé de mettre un terme à mon mandat de directeur artistique à la fin de l’année 2021. Que l’on discute déjà intensément d’un nouveau contenu pour la Toneelhuis et que différents scénarios pour le futur soient suggérés, je ne peux que l’applaudir. Cela démontre que le théâtre est encore toujours un lieu public vital, un espace d’expérimentation ouvert à tous. Cela met en tous les cas en évidence que la Toneelhuis est un lieu qui compte à Anvers et en Flandre. C’est l’un de mes plus grands objectifs en tant que directeur artistique. Faire du théâtre d’aujourd’hui. Sur aujourd’hui. Pour aujourd’hui.
Le philosophe français Gilles Deleuze affirme : « Nous ne manquons pas de communication, au contraire nous en avons trop, nous manquons de création. Nous manquons de résistance au présent. » Le théâtre est le média de la lenteur, de l’apaisement et de l’approfondissement. En cela, le théâtre devient de plus en plus unique. Et ce, par opposition au caractère évanescent et impulsif de tant d’autres médias. À la Toneelhuis, cela s’est traduit par de longs parcours que nous avons effectués avec certains créateurs de théâtre et avec vous, notre public. Et nous ne sommes pas encore au bout de ce trajet. Deux saisons formidables nous attendent encore, croyez-moi. Dans l’heure qui suit, vous allez recevoir un avant-goût de ce que vous pouvez vous attendre à voir la
saison prochaine.
J’ai commencé par une référence au théâtre comme à un bâtiment. C’est ainsi que je souhaite aussi terminer. « Quand on fait la guerre, l’obscurité n’est du côté de personne, mais quand on fait l’amour, elle confirme qu’on est l’un avec l’autre. », dixit John Berger. Pas seulement en amour, mais aussi au théâtre ; quand les lumières s’éteignent, l’obscurité nous confirme que nous sommes ensemble.
Je vous remercie.