Abke « UNISONO ne parle pas tant de solitude, mais de la capacité à être seul. Il s’agit surtout du fait que chacun vit à la fois la même chose, en grandes lignes, et par ailleurs tout autre chose. Toujours est-il qu’on naît et qu’on meurt, et qu’entre les deux événements, il se déroule un certain développement, aussi difficile ou différent soit-il. C’est un phénomène universel. »
Colette « Il me semble que vivre la même chose est intangible, imperceptible. On l’imagine ou on le ressent, mais on ne sait pas de quoi il s’agit précisément. Parce que cela se situe toujours entre les actions, entre les mots. »
Abke « Mais c’est justement de ces actions que j’aimerais parler ; nous accomplissons tous très littéralement toujours les mêmes actions. »
Colette « Essayez-vous, à partir d’une perspective photographique, de surprendre les gens en train d’accomplir leurs actions reconnaissables ? »
Abke « Je ne veux pas surprendre les gens. C’est tout simplement une réalité. Je suis souvent à New York, et la vie y est tellement intense que tous ces schémas sautent aux yeux : dès que le feu passe au vert, ce ne sont pas deux personnes qui traversent, mais toute une foule. Ce sont de vrais mouvements de masse. La solitude, le silence, l’inconnu, la simultanéité alors qu’on l’ignore l’un de l’autre… Voilà ce qui m’intéresse tout particulièrement. »
(…)
Colette « Que signifie UNISONO pour vous ? »
Abke « Des exemples d’unisson sont, par exemple, différentes voix qui produisent un même son, ou diverses personnes qui dansent selon le même schéma chorégraphique. Après une grande production comme Hamlet versus Hamlet, j’avais très envie de travailler seule, de réaliser un spectacle à petite échelle. Mon point de départ est la question : “Si je parvenais à interpréter à moi toute seule les schémas de plusieurs personnes, que se passerait-il et à quoi ressemblerait une telle production ?” C’est cette question qui occupe mon esprit en ce moment : comment interpréter seule plusieurs personnes ou plusieurs schémas ? Il s’agit avant tout de mon corps. Ce sera un spectacle très physique. »
Colette « Avez-vous déjà écrit le texte ? »
Abke « Pour ce spectacle, j’écris beaucoup moins que d’habitude. J’aime prendre mon temps et mes aises pour écrire. Mais j’ai envie de réaliser ce spectacle avec moins de mots, car il y est question du visuel. »
Colette « Voilà qui semble très musical. »
Abke « Ce que je peux en dire à l’heure actuelle, c’est que je suis encore en train de chercher, que tout progresse, évolue, qu’il n’y aura pas trop de mots… Mais s’il le faut, il y aura une profusion de mots. À vrai dire, je ne le sais pas encore. Mais je sens bien que j’écris différemment que d’habitude. »