Interview avec Mokhallad Rasem sur Roméo et Juliette

That crazy little thing called love! Roméo et Juliette, la tragédie de Shakespeare, constitue la source d’inspiration de cet hymne particulier à l’amour qui transcende les âges et les cultures, dans une mise en scène de Mokhallad Rasem.

Les saisons passées, vous avez monté trois spectacles évoquant la guerre en Irak : Irakese geesten (Fantômes irakiens), Monde.com (Facebook) et Caligula. Le choix de Romeo en Julia (Roméo et Juliette) de Shakespeare constitue-t-il une rupture avec vos précédentes productions ?

Pour moi, la guerre n’est pas terminée. Les choses ne sont pas si simples que cela. Je prends un peu de distance, c’est vrai. Je me concentre sur d’autres thèmes. Bien que l’on puisse naturellement aussi comparer l’amour à une sorte de guerre, une guerre dont les sentiments sont à la fois l’enjeu et les armes. Les émotions sont les balles que l’on tire sur l'autre personne. C’est sous cette perspective que je souhaite adapter le drame de Shakespeare.

 

Utilisez-vous surtout Roméo et Juliette comme thème, comme vous l’aviez déjà fait avec Caligula de Camus ?

Je pars toujours de textes existants et je me focalise sur un thème. Par ce thème, j’entends l’essence. Je ne vais pas raconter l’histoire de Roméo et Juliette. Au fond, tout le monde la connaît. Deux familles rivales et un amour défendu. Cette histoire me sert de toile de fond et d’inspiration.

 

Quelle est selon vous l’essence de Roméo et Juliette ?

Dans la littérature universelle, Roméo et Juliette représente l’idéal de la relation amoureuse romantique. La présence de cet amour suffit à écarter tous les obstacles. Chaque culture et chaque époque ont leur Roméo et Juliette. Les parallèles sont omniprésents. Ce thème est pour moi très spécial car tellement universel. Chaque culture possède des mécanismes d’oppression en matière d’amour.

 

Vous insistez maintenant sur les similitudes entre l’expérience amoureuse romantique dans les différentes cultures, mais il y a aussi certainement de grandes différences ?

Absolument. L’amour romantique répond à des codes culturels stricts. Ainsi, le contact visuel est extrêmement important dans certaines cultures, alors qu’il doit être évité autant que possible dans d'autres cultures. Il existe différentes conceptions sur les mariages mixtes ou la virginité.

 

Ces différents codes interviennent-ils dans votre mise en scène ?

Ces codes sont naturellement présents, mais je ne tiens pas à raconter une simple histoire sur l’Orient et l’Occident.

 

À quoi ressemblera le script ?

Je ne vais pas partir du texte de Shakespeare, mais de la poésie romantique. Dans la culture arabe, la présence de la poésie est très palpable. On introduit souvent le thème d'un article ou d’une conférence en citant un poème. La poésie offre un tout autre point de vue. La poésie est ouverte et se prête à de nombreuses interprétations. Je veux utiliser de la poésie romantique du monde entier. Je veux exprimer tous les moments de l'amour – désir, extase, désillusion, jalousie, colère,… – par le biais de la poésie. Ce sera un spectacle plein de petites histoires, continuellement rythmé par des changements d’atmosphère et d’ambiance. La musique y tiendra également un rôle essentiel. Ici aussi, je pense à un mélange de musique occidentale et arabe.

 

Quelle est la grande différence entre la poésie romantique occidentale et arabe par exemple ?

L’arabe est une langue extrêmement riche, qui foisonne de synonymes. Je dois consulter le dictionnaire pour lire certains poèmes. Les mots arabes peuvent aussi revêtir de multiples significations. Cela permet un jeu rhétorique complexe. Certains poètes ne peuvent être lus et compris que par des spécialistes.

 

Avec quels acteurs allez-vous travailler ?

Je souhaite travailler avec trois couples appartenant à trois générations différentes : deux enfants, deux jeunes adultes et un couple plus âgé. L'amour ne connaît pas d'âge. Tout le monde peut tomber amoureux à tout moment de sa vie. Mais chaque tranche d'âge exprime l'amour d'une autre manière. Ces trois couples seront présents tout le temps. Peut-être s'agit-il aussi de trois stades d'un même couple. En plus des acteurs, je compte aussi travailler avec des danseurs. Le couple de jeunes adultes pourra se composer de deux danseurs. L’expression de l’amour nous pousse vers les frontières de la langue. Parfois, nous n’arrivons plus à exprimer ce sentiment par des mots : l’agitation, le chagrin, le désir. Les danseurs peuvent alors les exprimer avec leur corps. La poésie prend ici une dimension physique. Pour finir, je souhaite aussi travailler avec des personnes d'origines culturelles variées. J’aime beaucoup utiliser différentes langues sur scène. Dans les trois couples, je mélange donc âges, cultures, langues et disciplines.

 

Avez-vous déjà des idées sur une scénographie ?

Laissez-moi vous répondre par une petite histoire. Quand je me suis rendu en Irak, l’année dernière, ma mère m’a montré une voiture vétuste, abîmée, dans le voisinage de notre maison. Elle avait appartenu à un couple décédé depuis. Ma mère m’a raconté que cette voiture lui rappelait constamment l’amour entre ces deux personnes qui partaient toujours conduire ensemble. Ils étaient tout le temps ensemble dans cette voiture, en route vers le parc ou le restaurant. Cette histoire m'a beaucoup inspiré. Le point de départ de la scénographie sera une voiture. La voiture est un lieu de liberté, d'autonomie, d'aventure et d'intimité. Tout ce que vous recherchez au sein d’un couple. Je m’imagine, au milieu de la scène, une sorte de voiture qui se transformerait en chambre à coucher, salon, restaurant, etc. ; autant de lieux qui jouent un rôle dans la vie d’un couple.

 

interview d’Erwin Jans

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